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La vitamine D a de nombreux atouts

 
 

Pré et probiotiques contre l’obésité

par Dr Catherine CHOUKROUN, le 4 septembre 2011

Introduction

Les dernières découvertes au sujet de notre flore intestinale, ses interactions avec notre santé et sa modulation grâce aux prébiotiques et probiotiques vont bon train. Plus de 2200 publications depuis les années 2000 contre à peine 500 au cours des 20 années précédentes(8). C’est grâce en grande partie, aux progrès génétiques sur le séquençage des génomes bactériens que les connaissances de la flore intestinale ou encore appelée microbiote, ont pu enfin exploser. En effet les méthodes traditionnelles de culture ne permettaient la mise en évidence que d’une très faible partie de ce microbiote.
Aujourd’hui, la relation symbiotique entre la flore et son hôte ne fait plus aucun doute(2) ainsi que l’action bénéfique des prébiotiques et des probiotiques sur ce microbiote. Parmi les nombreuses propriétés de ces deux protagonistes sur notre flore, il semblerait que certaines se soient révélées protectrices du grand fléau actuel qu’est l’obésité.

Définitions

Prébiotiques

Les prébiotiques sont à distinguer des probiotiques car ce ne sont pas des micro-organismes. Ce sont des substances fermentescibles qui possèdent un effet bénéfique sur la flore intestinale (13) (14). Ce sont en fait de simples molécules, souvent des petits sucres comme des fructo et galacto-oligosaccharides mais aussi des fibres, de l’inuline, du lactose, des polyols… Les prébiotiques représentent une source d’énergie métabolisable par le microbiote, voire par les probiotiques.

Probiotiques

Le terme « probiotique » dérive du grec et signifie « pour la vie » (1). La définition généralement adoptée a été proposée par la FAO en 2002: « le terme de probiotique désigne aujourd’hui un microorganisme vivant qui, lorsqu’il est administré en quantité adéquate, exerce un effet bénéfique sur la santé de l’hôte. »

Les critères qualitatifs importants d’un probiotique retenus actuellement sont(1) :

  • le microorganisme doit être vivant à l’ingestion orale mais être également retrouvé vivant dans les selles, preuve qu’il a résisté à l’attaque digestive gastro-intestinale
  • le microorganisme doit être en quantité suffisante et avoir prouvé son efficacité sur la santé(3)

Le Microbiote

C’est le terme choisi pour désigner cette véritable entité fonctionnelle qu’est cette biomasse de 1,5 kg environ, composée de microorganismes présents dans notre intestin et en particulier dans la partie proximale du colon. C’est en majorité des bactéries et on évalue à plus de 800 voir un millier le nombre d’espèces bactériennes différentes. Chacun de nous possède son propre profil au niveau des espèces, ainsi que pour les vrais jumeaux. Le microbiote pourrait être un moyen de nous identifier tout comme les empreintes digitales.

Grace au séquençage des génomes bactériens, nous pouvons suivre les variations d’un microbiote. Ce matériel génétique est énorme puisqu’il représenterait plus de 100 fois le nôtre. Nous nous intéressons surtout à la composition bactérienne de ce microbiote qui est majoritaire, mais il est à remarquer que les communautés microbiennes trouvées appartiennent aux trois domaines du vivant : les bactéries, les archaea et les eucaryotes. Les eucaryotes sont eux principalement représentés par les protozoaires, champignons et levures.

Pour en revenir à nos bactéries on les range en divisions. On en dénombre aujourd’hui près de 55, on les appelle des phyla. Environ 80 à 90 % des espèces bactériennes fécales chez l’adulte appartiennent à trois phyla : Firmicutes, Bactéroidetes et Actinobacteria eux-mêmes classés en genres. A ce niveau là de la classification, il existe une grande similitude entre tous les individus. On va pouvoir ainsi comparer les microbiotes et différencier un microbiote en dysbiose (déséquilibre) par rapport à un microbiote en eubiose (équilibre). Si par contre on descend dans cette classification au niveau des espèces bactériennes, nous sommes tous uniques. (18)(19)

En quoi notre microbiote pourrait-il avoir un rapport avec la régulation de notre poids ?

Le Professeur Gérard Corthier (INRA) (15), lors de son intervention pendant les XVIèmes rencontres scientifiques de nutrition en novembre 2007, résume bien l’historique des différentes constatations qui ont permis d’affirmer la relation entre microbiote et régulation du poids. Cela commence avec Wostmann et al en 1983 qui remarque que les souris axéniques (sans flore) ont besoin d’une ration calorique de 30% supérieure aux animaux conventionnels pour maintenir leur masse, sans en comprendre la raison. C’est le Pr J. Gordon (6) et son équipe à l’Université de Washington aux USA en 2006 qui le premier fait cette relation et prouve que le microbiote intervient dans l’absorption par l’hôte des glucides et des lipides ainsi que dans la gestion des réserves adipeuses. Il remarque que ces mêmes souris axéniques tout en consommant 30% de ration en plus ont 42% de masse graisseuse en moins par rapport au groupe contrôle. Si ensuite on transfère le microbiote des souris normales aux souris axéniques, ces dernières se mettent à grossir. Le microbiote permet alors de tirer plus d’énergie de la ration alimentaire en digérant par exemple partiellement certaines fibres alimentaires non digestibles en l’état, et également de stimuler l’assimilation des lipides et de favoriser leur stockage.
 Faut-il en déduire pour autant qu’il suffit de détruire le microbiote pour maigrir ? Non bien sûr, ces premières constatations ne permettent que d’établir la relation entre microbiote et gestion des calories.
Beaucoup d’autres études, plus en rapport avec l’analyse des différentes espèces de bactéries ont apporté un éclairage supplémentaire permettant de comprendre un peu mieux ces interrelations entre l’hôte et son microbiote :

  • Rôle probable de répression de l’expression d’une protéine impliquée dans le stockage des graisses (Fiaf : fasting-induced adipocyte factor). (8)
  • La flore des obèses est différente des gens à poids normaux (6)
  • Des souris normales inoculées avec la flore bactérienne de souris obèses deviennent graduellement obèses. (7)
  • L’importance du rapport quantitatif entre la présence des phyla firmicutes et celle des bactéroïdetes qui serait de 10 pour 1 chez les non obèses contre 100 pour 1 chez les obèses. On retrouve la même différence chez les souris. (9) La baisse des bactéroïdetes serait corrélée à l’obésité.

Peut-on modifier la flore par un régime alimentaire ?

Avec un régime pauvre en graisses, le rapport firmicutes/bactéroïdetes se modifie dès une perte de poids de 6% et avec un régime pauvre en glucide, le rapport ce modifie dès une perte de 2% de poids. Le profil bactérien redevient similaire à celui des gens minces. Toutefois, il n’a toujours pas été clairement établi si la modification de ce rapport était la cause de la perte de poids ou juste sa conséquence. (9)
A contrario une alimentation riche en lipides modifie la composition du microbiote avec une diminution des bifidobactéries (parties des actinobactéria). Cette modification du microbiote intestinale est associée alors à l’augmentation du LPS (lipopolysaccharide) sérique qui lui-même est lié à un récepteur entrainant la production de cytokines pro inflammatoires avec insulinorésistance et développement de la masse grasse. (18) (19)

Effets des prébiotiques sur le poids

  • Effet satiétogène qui réduit ainsi la prise énergétique totale
  • Diminution du poids et plus précisément de la masse grasse
  • Des études chez la souris suggèrent qu’une alimentation riche en fibres non digestibles (prébiotiques) augmente la concentration de bifidobactéries caecales et en dehors du fait que cela correspond à une normalisation des paramètres inflammatoires, on constate également une corrélation avec une amélioration de la tolérance au glucose et de la sécrétion d’insuline induite par le glucose. Il y a alors stimulation de la production de peptides sécrétés par les cellules L-endocrines de l’intestin (glucagon-like-peptide 1 et 2).
  • Amélioration des marqueurs lipidiques dans des cas de régimes alimentaires hyper lipidiques mais également par altération métabolique d’origine génétique
  • Amélioration des marqueurs biologiques dans les NASH (hépatite stéatosique non alcoolique) (11)

Effets des probiotiques sur le poids

Rappel des effets communément admis à ce jour :

  • amélioration de la digestion du lactose
  • prévention et traitement de la diarrhée d’origines diverses
  • prévention d’infection microbienne du système digestif ou urogénital
  • prévention des maladies inflammatoires chroniques
  • prévention ou traitement de l’allergie
  • pouvoir immunomodulateur(2) augmentation des cytokines anti-inflammatoires et diminution des cytokines pro-inflammatoires.

Cette liste n’est pas exhaustive et s’allonge tous les jours.

Les probiotiques font-ils grossir ?

Une des découvertes les plus importantes pour la compréhension des différences études est que les probiotiques ont un effet souche dépendante. C’est donc en fonction des souches utilisées que les résultats doivent être interprétés. Ce qui n’a pas manqué d’alimenter les controverses dans la presse qui affirmaient que les probiotiques faisaient grossir. Exemple de l’étude chez le poulet supplémenté en lactobacillus plantarum où les poulets ont une meilleure croissance mais avec un taux de cholestérol bas. (17) Exemple de l’étude du Professeur Yamashiro à Tokyo montre que chez des bébés de très petit poids (environ 1 kg) la prise de probiotique annule la mortalité, les rend plus résistants aux infections et améliore leur prise de poids. (18)
Les probiotiques les plus utilisés jusque là sont les bactéries lactiques (entendez capable de produire de l’acide lactique ou encore appelées lactobacilles) et les bifidobactéries car elles ont fait la preuve de leur innocuité. (1)

Différentes études chez l’homme prouvent l’efficacité des probiotiques sur le poids

La principale est probablement celle des finlandais (4) traitant des femmes enceintes par des probiotiques pendant leur grossesse et constatant l’effet sur leur prise de poids après l’accouchement. L’étude portait sur 256 femmes réparties en 3 groupes, suivies depuis le premier trimestre de leur grossesse jusqu’à 1 an après l’accouchement. Un premier groupe a reçu des conseils alimentaires pour garder un poids normal et assurer un développement optimal de leur bébé, un deuxième groupe a eu les mêmes conseils plus des probiotiques contenant deux souches : lactobacillus GG et Bifidobacterius BB.12 et le troisième groupe n’a eu ni conseil, ni probiotiques.
 23 % des femmes traitées par probiotiques sont devenues obèses après leur grossesse contre 43% dans le groupe avec les conseils et 40% sans rien. Ce résultat est plus que significatif.
 Cette même équipe a également démontré l’amélioration du contrôle de la glycémie pendant la grossesse chez les femmes traitées par probiotiques pendant leur grossesse : 13% de diabète gestationnel dans le groupe traité avec probiotique par rapport à 35% dans le groupe sans. (5)
Le Pr C. Grangette et son équipe à l’institut Pasteur à Lille pense que l’action positive de la flore sur l’obésité pourrait être expliquée par son action anti-inflammatoire. Ils étudient tout particulièrement certaines souches plus anti-inflammatoires qui agiraient sur l’inflammation chronique du tissu adipeux constatée chez les obèses. (12)

Conclusion

Il serait tout à fait tentant de penser que la prise d’un prébiotique, ou d’une souche probiotique particulière pourrait régler tous les problèmes. Certaines recherches explorent même la voie de la modification génétique de certains lactobaciles qui leur conférerait ainsi des propriétés particulières vis-à-vis du métabolisme des graisses.
 Compte tenu de la complexité de la relation symbiotique entre nous et notre microbiote on peut s’interroger sur les conséquences de toute intrusion d’organismes génétiquement modifiés dans cet équilibre.
 Ne serait-il pas plus judicieux et plus écologique de commencer par comprendre quels sont les facteurs de déséquilibre actuel de notre microbiote, quels sont les facteurs environnementaux et comportementaux qui le mettent ainsi en péril et nous avec ?
 Si les prébiotiques et les probiotiques sont certainement des thérapies adjuvantes incontournables pour combattre les maladies de civilisation actuelles, il me semble que le vrai challenge est aussi d’agir en amont sur les polluants multiples qui modifient notre flore.
 Et par exemple, à quand dans le Vidal, en plus des descriptions des effets secondaires sur les différents organes, celles des effets secondaires sur le microbiote ?
 

Bibliographie

(1)Alain Cornic, Probiotique en pratique quotidienne. Nafas pratique, 2001, vol 6
 (2)Vassilia Théodorou, Intétêt des souches probiotiques à visée immunostimulante, Forum micronutrition 13/03/2010, institut Pasteur Paris XVème
 (3)Cahiers de nutrition et de diététique, avril 2007 hors série2, Probiotiques et Santé, 2S1-2S92
 (4)Brown A J., study in pregnant women suggests probiotics may help ward off obesity, http://www.health.am/weightloss/more/probiotics-may-help-ward-off-postpartum-obesity/, Reuters health 11 mai 2009
 (5)Laitinen K, Bussa T, Isolaur E, The nutrition,allergy, mucosal immunology and intestinal microbiota group. Probiotics and dietary counselling contribute to glucose regulation during and after pregnancy: a randomised controlled trial, British Journal of Nutrition, 2008 Nov 19:1-9
 (6)Ley. RE, Turnbaugh PJ, Klein S, Gordon JI. Microbiol ecology:human gut microbes associated whith obesity Nature . 2006; 444:1022-23
 (7)Ley.RE, Bäckhed F,Turnbaugh P, Lozupone CA, Knight RD,Gordon JI, Obesity alters gut microbial ecology, Proc Natl Acad SCI USA 2005;102:11070-5
 (8)Nicolas Guggebbühl, Des probiotiques en pleine effervescence, Health and food, N°77 , mai/juin, 2006
 (9)Toute la diététique- Obésité : la flore intestinale est-elle une part de l’explication ?, Nutrinews France, 31 aout 2009
 (10)N M. Delzenne, P. D. Cani, Flore intestinale et obésité: Un outsider imprévu?, résumés des Xèmes entretiens de nutrition de l’institut Pasteur de Lille, 5 juin 2008, www.i-dietetique.pro/?action=articles&id=6079
 (11)N.M. Delzenne, P. D. Cani, Modulation nutritionnelle de la flore intestinale : une nouvelle approche diététique dans la prise en charge de l’obésité, cahiers de nutrition et de diététique 2009, 44, 42-46
 (12)C.Grangette et col, Des bactéries comme médicaments, Institut Pasteur Lille, entretiens de Nutrition 03/02/20011
 (13)G.R., Roberfroid M.B., Dietary modulation of the human colonic microbiota : introducing the concept of prebiotics. J. Nutr., 1995, 125, 1401-12
 (14) Schaafsma G., The western diet with a special focus on diary products. Bruxelles: Institut Danone, p 5
 (15)Gérard Corthier, UEPSD INRA, Le microbiote intestinal a-t-il un role dans l’obésité?, résumés institut Danone, XXVème rencontre de nutrition.
 (16)Pr J. Dore, INRA, La flore dans les maladies inflammatoires de l’intestin-Implication pour les stratégies de modulation de l’immunité, symposium prébiotiques et probiotiques : du concept aux effets sur la santé. Institut Danone.20/10/2007
 (17)I. Tayeb, Activité probiotique du L. Plantarum : etude réalisée chez le poulet de chair isa 15, Journée de la recherche Avicole, St Malo, 25 et 26 mars 2009
 (18) N . Guggenbühl, Les probiotiques ces microbes de santé, numéro spécial « health and food » mai 2005
(19)Service médico-scientifique Pileje, Le microbiote intestinal dans tous ses états, tiré à part documentation Pileje.